« IVOIRITES »
TECTITES DE CÔTE D'IVOIRE

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     « L'histoire du sauvetage de 120 tectites de Côte d'Ivoire »


     Les tectites de Côte-d’Ivoire sont, sans doute, les plus rares dans nos collections. En fait, on les trouvait dans les exploitations d’or au milieu de « placers » aurifères. Les sorciers et les chefs de tribus locales les gardaient comme amulettes dotées de grands pouvoirs. On les appelle « Ivoirites ». Elles sont noires, opaques, souvent rondes avec de petites vacuoles caractéristiques. Le « cratère parent » serait celui de Bosumtwi, situé au Ghana. Il a 10 km de diamètre, l’âge commun de ce cratère et de ces tectites étant de 1 100 000 ans. Avec les moldavites ce sont les seules tectites dont on connaît l’origine avec certitude. Dès le début des années soixante, les américains préparent la conquête spatiale. L’origine lunaire des tectites est encore très en vogue. Dans le cadre de leur projet d’alunissage, ils chargent un certain nombre de chercheurs de parcourir le monde pour rapporter un maximum d’informations sur ces étranges objets. C’est à cette époque que certains d’entre eux passèrent au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris et y reclassèrent la collection de tectites. D’autres allèrent directement sur les différents lieux pour collecter des échantillons. C’est le cas de Virgil Barnes de l’université d’Austin au Texas qui entreprit, pour le compte de la NASA, deux voyages, l’un en 1960-1961, l’autre en 1963-1964. Il rapporta des quantités d’échantillons de différentes localités, sauf de Côte-d’Ivoire, où il rencontra de grandes difficultés et n’en rapporta aucune.

     La Côte-d’Ivoire était une colonie française jusqu’au 7 août 1960, date de l’Indépendance. De nombreux français y ont vécu et y vivent encore, la France a toujours eu des rapports étroits avec l’Afrique, à Paris nous sommes bien placés pour être au courant des nouveautés minéralogiques de tous ces pays.
Voici comment un lot de ces rares tectites de Côte-d’Ivoire vient d’être retrouvé, sauvé, par un collectionneur français Mr F. sur une brocante du centre de la France, grâce à ses connaissances dans le domaine des météorites et des tectites:

     Ce monsieur, collectionneur et amateur de curiosités, se promène sur un vide-grenier, genre de marché aux puces en plein air où les habitants de la région sur une petite surface de quelques mètres carrés viennent vendre des vieux vêtements, des jouets d’enfants ou même des vieux cartons d’emballage des années 1970. Il a presque terminé sa visite lorsqu’il repère quelques billes en verre noires, les prend en main, il reconnait des tectites, demande le prix, et pour quelques euros il emporte cinq pierres. La forme l’intrigue, il demande à la vendeuse où elle a trouvé ces objets. A sa grande surprise elle lui explique que sa grand-mère, Madeleine Bouguarel, collectionneuse de minéraux et curieuse des raretés de la nature, vivait sur une plantation de coton à Daoukro dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire et que celle-ci s’était prise d’intérêt pour ces petites billes noires, déjà rares à l’époque. Elle avait chargé ses employés travaillant sur cette plantation de lui rapporter ces tectites pour satisfaire sa passion. Ce lot fut constitué pendant plus de quinze années. A la suite des émeutes ethniques de 1970, elle rentre définitivement en France avec une seule petite valise dont ces précieuses pierres noires. A son décès, sa petite fille retrouve dans le grenier une boîte de laquelle elle prélève quelques spécimens qu’elle présente sur cette brocante. Mr F., comprenant l’intérêt de ces tectites, demande si elle en possède d’autres et où se trouve le reste du lot. Deux jours plus tard il entre en possession de plus de 120 pierres, un vrai trésor ! Un lot mondial ! Il me contacte, car en fait il avait lu mes livres et connaissait la rareté de ces tectites, il était d’ailleurs déjà client chez moi.

     Dans un premier temps il m’a contacté par téléphone et m’a proposé de m’envoyer quelques spécimens gratuitement pour expertise. Quelques jours plus tard je reçois le colis: au milieu, une boîte plastique contenant quatre petites pierres avec des formes peu probantes. J’avais dans ma collection personnelle une très belle pièce et j’avais revendu quelques petites pierres obtenues auprès de John Saul, un scientifique américain, un des rares à avoir récolté lui-même quelques pierres sur place, les formes que j’avais dans l’œil étaient des billes globalement bien rondes, celles du colis ne me plaisaient guère. Je déclinais l’offre.

     J’ai gardé cette boîte sur un coin de mon bureau pendant presque une année avant de lui retéléphoner et de prendre la décision d’aller voir le lot dans son intégralité. Et là, dès que j’ai vu la totalité des tectites, j’ai compris la qualité de cette trouvaille. J’ai acheté ce lot et Mr F. a accepté de me mettre en contact avec sa vendeuse, la petite fille de Madeleine Bouguarel. Je voulais avoir un peu plus de détails pour étoffer la vente de ces objets exceptionnels. J’ai ainsi pu obtenir une photo de cette femme qui avait réuni cette belle collection. Parmi les quelques mails échangés avec la petite fille, il y en a un qui m’a interpellé, elle m’écrit textuellement : « Moi je sais qu’elle avait des champs de coton à Daoukro et qu’elle a envoyé à l’époque ses pierres à la NASA ». Ce détail ne pouvait être connu que par des spécialistes, Madeleine Bouguarel avait dû rencontrer ou avoir entendu parler des scientifiques américains qui recherchaient ces tectites si particulières. Avait-elle une bonne adresse, le colis s’est-il perdu, la secrétaire qui l’a reçu a-t-elle pris cela pour un canular ? On ne saura jamais.

     J’ai présenté ce lot en exclusivité à la bourse de Tucson 2014. J’ai vendu chaque tectite avec un vrai certificat, photo, poids et dimensions. J’ai engagé mon nom sur chacune de mes tectites. L’étude de la susceptibilité magnétique effectuée par Pierre Rochette du CNRS d’Aix Marseille sur plus de 40 de mes tectites de Côte-d’Ivoire montre une homogénéité du lot, avec une valeur moyenne nettement différente de celle d’une australasite mesurée dans ma galerie ainsi que les valeurs de la littérature. Car, en fait, actuellement en Côte-d’Ivoire, on peut trouver des tectites mais il est impossible à l’œil même pour un minéralogiste averti de savoir si elles sont locales ou si elles proviennent de Chine ou du Vietnam et les locales sont fort, fort rares. Malgré les quelques 120 pierres de ce nouveau lot, les vraies tectites de Côte-d’Ivoire resteront toujours les plus rares des Tectites.

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